Vacances avec Annette Vaillant, Gisèle, 30

Ce charmant petit train à voie étroite, pas pressé, nous bringuebalait le long de la côte, entre la route et les maisons. Il passait, après La Foux, devant l'usine de torpilles; un nain, genre Piéral, y travaillait; on le voyait souvent sur le port, à l'heure de l'apéritif; il me faisait un peu peur, il était sarcastique, ne souriait jamais, comme Piéral.
J'adorais voir le petit hydravion qui lâchait dans la mer, à basse altitude, des torpilles, pour les essayer, provoquant une magnifique gerbe d'eau. Grand poissons d'acier avec un faux-nez rond, une hélice et un gouvernail, elles ressemblaient à un dessin de torpille et je me demandais toujours où allaient ces torpilles; dans la maison sous-marine du nain, peut-être.

Unique en son genre, notre train ami nous laissait devant la porte du jardin de la villa "Les Vagues", régulièrement louée par le grand'Père. Cette vieille maison petit bourgeoise, rassurante, familière et fraîche était située à l'extrémité de LA plage, dite de la Bouillabaisse, fort heureusement peu achalandée. Côté golfe, il y avait une terrasse bordée de balustres toscans caractéristiques du Midi. 
Je jouais sur un tamaris qui tombait dans la mer, devant la maison avec Antoine Salomon, quatre ans, petit fils de K.X. Roussel et petit neveu de Vuillard, dont les parents avaient la villa "Uruguay", voisine de la notre; il m'apprenait à nager, en riant très fort, depuis un ponton en bois. Comme lorsque j'étais bébé, Maman mettait ma baignoire en zinc, pleine d'eau, à chauffer au soleil, et elle m'y lavait quand je rentrais de la plage plein de sel et de sable. J'ai toujours aimé que l'on me lave, qu'on me frotte, qu'on me dorlote à l'Extra-Vieille de Jean-Marie Farina, surtout.

Lors de l'inventaire, obligatoire dans les locations, Maman, sans vergogne, déclarait systématiquement cassées, les belles lampes à pétrole aux réservoirs en verre colorés et biseautés, ou en cuivre, les suspensions en opaline, les bocaux de porcelaine farine-sucre-café-épices-thé-poivre, décorés de roses peintes et cuites, les pots à eau Saint Clément, représentant des animaux, tous ravissants objets usuels authentiques, destinés à être montés en lampe, ou faire de la déco simple, trente ans avant les catégoriques stylistes d'ELLEène Lazareff, dans la cuisine de Paris. 
Tout était remplacé par des machins plus modernes,  réservoirs en laiton, abat-jours lavables, pichets Ricard, pots à épices en fer blanc également peints joliment et qui seront à leur tour fauchés ultérieurement par d'autres locataires. Ma mère se donnait bonne conscience en disant que les propriétaires n'habitaient pas là, qu'ils trouvaient les trucs de remplacement plus pratiques etc. Enfin. J'aime pas trop ça !

De toute façon, aujourd'hui ces séduisantes antiquités familiales sont ré-éditées en masse, dans quelque Europe de l'Est allant jusqu'à l'Asie, et les canards et toucans Saint-Clément, approximatifs, les mini-suspension en plastique, les lampes Pigeon, les boîtes à sucre roses transparentes, abondent dans les "Paris-Pas-Cher" et autres "Pier-Import". On devrait payer ces contrefaçons avec de la fausse monnaie.

Un marchand avec une carriole à cheval, s'arrêtait souvent devant la porte du jardin, pour vendre ses fruits frais et ses vrais légumes qu'il pesait avec un long instrument, apparemment déséquilibré, qui m'intriguait beaucoup, une balance romaine.

Je courtisais, à dix ans, une petite voisine toulonnaise. Elle habitait un vieux mas avec une pergola ancienne où couraient en désordre bougainvillées et chèvrefeuille et un lavoir qui sentait bon le propre, le savon de Marseille. Ses parents me régalaient  souvent de poulpe frit, préalablement ramolli à coups impitoyables de battoir à linge.

Gisèle, c'était son nom, et moi, aimions nous percher dans le figuier qui, lui, sentait bon la figue sèche, caramélisée. Pour s'amuser, ma copine, bien plus coquine que moi, cueillait une figue fraîche, et déposait une goutte du lait blanc qui sortait de la queue du fruit au bout de ses jeunes et innocents tétons. Et nous rions, rien de plus.

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