Bombardements à Toulon pendant la guerre 36

Ce fut mon premier voyage en aéroplane: bi-moteur Bloch 220 d'Air France, 16 fauteuils d'osier, altimètre, compteur de vitesse en cabine, Le Bourget - Londres à 280kmh, 70 minutes!


Ce fut aussi mon premier amour un peu physique, pour la peau mate, les lèvres de Gwendolyne qui, au cinéma de Wembley, guidait mes mains dans le noir sur sa jeune, douce et ferme poitrine nue. Elle ressemblait à l'irrésistible Estelle O'Brien, née en Tasmanie (1911), élevée aux Indes, qui devint Merle Oberon en Angleterre où elle épousa le metteur en scène - producteur Sir Alexander Korda. 
 
Elle incarna Anne Boleyn, aux côtés de Charles Laughton, dans "La vie privée d'Henry VIII" (Korda, 1933), et Cathy, dans "Les Hauts de Hurlevent" (William Wyler, 1939), aux côtés de Laurence Olivier. Elle joua en 1940 dans un remake bien inutile du chef d'oeuvre de Tay Garnett, "One way passage", dans le rôle tenu admirablement en 1932 par Kay Francis, partenaire de William Powell.

En Angleterre, j'ai découvert Woolworth, et ESSENTIEL, le seul magazine qui, à part "VU", ait jamais existé et où j'ai tout appris: "LIFE".


J'ai aussi appris à conduire, mais à gauche, dans la campagne avec une petite Ford anglaise. 


Ainsi commence la saga des cuff-links.
Mais j'ai encore quelques mots affectueux pour l'inégalable ville royale, d'Henri IV, de Louis XIV, de Colbert, de Vauban, de Bonaparte et de Dumont d'Urville.

L'Algérie n'est pas la France, et grâce à Dieu, Mers-el-Kebir n'est pas Toulon. Obstination française, méfiance anglaise, et vieille rivalité Royale-Navy, le 3 juillet 1940, la flotte anglaise sur ordre de Churchill coula les navires français, et 1300 de nos marins périssent. Cette criminelle erreur, si elle empêcha Hitler de se saisir de nos bateaux, alimenta aussitôt une violente anglophobie et facilitera la politique de collaboration avec l'Allemagne.

Le 27 novembre 1942, Hitler craignant que les navires français de Toulon ne gagnent Alger, déclencha l'opération "Lila": deux divisions blindées épaulées par la Luftwaffe pénétrèrent après minuit et sans difficulté dans l'Arsenal. La flotte française, faute de pression ne put envisager d'appareiller, et plutôt que de tomber aux mains de la Kriegsmarine, se saborda...à la perfection! (90 navires irréparables).

Seuls cinq sous-marins réussirent à sortir de la rade. Suicide héroïque, certes, mais regrettable perte pour la marine alliée, et spectacle désespérant. La satisfaction d'Hitler était relative, car il n'avait pas alors les moyens de réarmer cette flotte de choix. Pour moi cela fut la première mort de Toulon.

Petit à petit les occupants remirent en état une partie de la flotte et construisirent une base de sous-marins allemands à l'Arsenal de Mourillon. Ils pressentaient un débarquement anglo-américain, et le premier bombardement eut lieu le 24 novembre 1943. Les bombardements alliés s'accélérèrent en 1944: Février, mars, avril, juillet et août, les 6,17 et 18, jour du débarquement en Provence.

Le 27 août, Toulon était libérée, mais 47% des quartiers du port étaient entièrement démolis. Je suis passé par Toulon, en septembre: le port était une immense ruine, silencieuse, hébétée, qui se vomissait elle-même dans la rade. 
J'habitais en 1941, devant l'entrée de l'Arsenal; mon immeuble, éventré, comme tous ceux de cette zone stratégique, était béant, la moitié de ma chambre arrachée comme un membre à la guerre, et l'autre moitié pendant dans le vide. Du bar "Aux cinq parties du monde", au pied de chez moi, il ne restait rien. Rien de mon cher "Bazar des Mécaniciens", ni de l'autre centenaire, le "Café de la Rade", l'unique.

Toulon, une fois encore sans défense, rasée à moitié, venait de mourir, à grand feu, une deuxième mort.

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