Ancien St Tropez, café de la Côte d' Azur 27


En ce temps-là, Saint Tropez, comme Mégève, était paisible et gai. Les gens du pays accueillaient généreusement les artistes, avec une curiosité sympathique; et les artistes, par la force des choses, et sans chercher à se déguiser, s'habillaient comme eux, bouffaient comme eux, se saoulaient la gueule au Pastis - souvent fait maison, avec eux, sans se faire prier, et ils épousaient des filles du pays; mais parfois les jeunes enjôleurs, qui dansaient la valse à l'envers leurs piquaient leurs femmes, pour un jour, ou pour toujours. Ma foi. Et puis ça s'est su. 

Alors Saint-Tropez est devenu à la mode, élégant, les Windsor, Charles Chaplin. Puis snob. Puis "plus possible". Puis Saint Trop', puis Byblos. Puis magasins de fringues tendance, dont les fabricants louent des villas aux piscines paysagées et LA Testa Rossa rouge-noir c'est mieux...- qui va avec, mais A LA SEMAINE ! Et les D.J. dealers éclairent leurs bains de minuit au laser et aux nuages de paraffine pour des poulasses dociles et appliquées qui ne voient le soleil qu'après midi.

Le vieux jet set en est devenu touchant, voire sympathique; il s'est réfugié dans ses Parcs, sur ses Caps, il a dorénavant hiberné tout l'été, entre lui. On a découvert Noël à Saint Tropez, mais Brigitte Bardot a foutu le camp. Qui arrêtera ce scopitone sans joie où les gentils promeneurs du dimanche, bernés par les journaux des Altesses, plus que par les tabloïds fouille-merde, reviennent malgré tout, en se tenant par la main, prendre leur dose d'illusion, devant ces vaisseaux-fantômes sans Altesses, déphasés, comme désarmés. Ces demi-navires, dont la proue invisible disparaît dans la nuit balayée par le phare, ne sont-ils pas désespérément agrippés à une adorable ville qui doit refuser de devenir son propre fantôme.

A Mégève, c'est pareil, avec les surfeurs suédois en plus. Je vécus ainsi trois ans dans le Midi, et chaque fois que je retournais à Saint Tropez (1930, 32, 38, 50, 51, non-stop jusqu'en 1964, 66, 67, 70 etc), j'allai voir Raymonde, au "Café de la côte d'Azur" et sa Maman. Elle n'avait pas eu le droit de se marier, Raymonde, le Café avant tout, surtout après la mort de son pauvre Père qui ressemblait à l'Escartefigue, "On part, on part..."de la trilogie célèbre.

Chaque fois, elle appelait sa Mère: "Maman, viens voir qui est là!" Et chaque fois, en me voyant, sa Mère s'écriait: "Mon Dieu, Pilou, qu'il est grand ce petit!" Avec un merveilleux accent. Je les aimais bien, je les aimais même beaucoup ces femmes, tout au fond de mon moi à moi. Et on s'embrassait, fort, avec une petite larme. Et, tant d'années après, en écrivant tout ce petit bout d'enfance émerveillée, il me prend la voix de Charpin-Panisse, dans "Fanny", et je me repaye beaucoup plus qu'une petite larme.

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