Mémoires Charbonnier Chine, journalisme 47

Aujourd'hui, 1 milliard 350 millions de Chinois ce n'est pas du tout, comme le tonitruait un candidat à la reélection législative qui avait passé 10 minutes en Chine dans l'attaché-case d'un sous-ministre, ce n'est pas 1 milliard 350 millions de clients, c'est 1 milliard 350 millions de fournisseurs.

Cela fera sûrement drôle à un Américain moyen de conduire prochainement une fausse vraie Buick, bien meilleur marché que celle de Detroit (Michigan), sur le bloc-moteur de laquelle sera gravé "Made in the People's Republic of China", comme sur les souvenirs de Chamonix, les pendulettes, les jouets, les brosses à dents, les boules à neige que l'on retourne sur les palmiers du Sahara. 

Malgré les 750 millions de US$ investis, l'usine G.M. de Shanghaï, n'est pas prête à séduire, avec 50 000 Buick l'an prévues pour 2001, une "élite-fric" locale qui achète, la plupart du temps en contrebande, 100.000 voitures Japs' ou Fritz !

Dans les années 20, les enfants gardaient le papier d'argent des tablettes de chocolat pour les petits Chinois. On parlait aussi du "péril Jaune"? Je n'ai jamais compris la destination de ces papiers d'argent.

Le grand nez creux Pierre Cardin n'a attendu personne pour ouvrir un "Maxim's" à Pékin,...Sooner or later...Malin, non?

Les états d'âme bidon des affairistes internationaux concernant aujourd'hui les incidents de la Place Tien-am-Men, et le respect des droits de l'homme mélangent le burlesque, l'impudeur, et le sang. "BALONEY!!!". "Mind your own business!" disent à ce propos et catégoriquement les Chinois.

"Business first, business as usual !" chante le choeur des hypocrites au rectum peu fragile. Alors, "Péril jaune", ça veut dire quoi, au juste ? Quelques restaurants boat peoplesques de plus ? Oui, oui, ça doit être ça !

Comme j'ai aimé cette Chine de 1955, pas riche certes, mais parfaitement droite, avec un costard bleu par personne et une ampoule électrique au bout d'un fil pour cinq habitants et qui bossait comme une folle, avec un enthousiasme forcené, pour rattraper des siècles d'impérialisme infernaux, effacer des années d'humiliation, d'occupation, d'opiumisation forcée, d'"Interdit aux chiens et aux Chinois", pour oublier, mais à moitié seulement, les persécutions, les pillages japonais, les luttes fratricides Tchang-Mao, fermait bordels et maisons de jeu, limitait: un lardon, un vélo.

Quand j'ai quitté la Chine en novembre 55, le luxe merveilleux, l'abondance, la vie facile de Hong-Kong, mon monde à moi, pourtant, me faisaient honte. Je n'étais pas devenu communiste, nullement, et d'ailleurs à quoi bon? Simplement éperdu d'admiration, d'affection, ces gens-là. Est-ce être élitiste que d'aimer la grandeur ? Cela n'a pas plu. "Bullshit!" 

Mais ils ont envahi le Tibet, comme s'ils avaient besoin d'espace, et puis il y a eu la révolution culturelle, puis la Veuve Mao au gnouf, après, on rigolait de moins en moins.

La première victime du "Péril Jaune", de cette explosion économique à la limite de l'incontrôlable, ne serait-ce pas la Chine, l'admirable Chine elle-même, asphyxiée, étouffée, sous les décombres de son implosion? En Chine, je n'avais déjeuné ni avec Chairman Mao, ni avec Chou-en-Lai; mais si j'avais pu faire toutes les photos que je voulais, je ne fis là-bas qu'un admirable travail de professionnel, horriblement convenu, parfait pour un dépliant touristique en quadrichromie. "Shame on me !" 

Parce que six semaines pour "couvrir" la Chine, comme on dit d'un animal qu'il couvre une femelle, est une navrante misère. Honte aussi à ceux qui vous payant, ne respectent ni le sujet, ni "leur" sujet ! On ne devrait pas avoir le droit de faire une photo, d'écrire une ligne, de dire un mot, sur un pays, qu'après plusieurs voyages, humbles, silencieux, d'imprégnation lente, de séduction réciproque.

Le voyage de 1938 permit à ma Mère de s'affirmer en écrivant d'excellents articles sur la Chine pour "Ce soir", le journal de Louis Aragon; elle fut encore plus personnelle de vive voix et dans les immenses lettres qu'elle m'envoya. Quand ils sont revenus d'Extrême-Orient, mes parents avaient changé, ils planaient; pas plus que moi, plus tard, ils n'étaient sortis indemne de ce voyage immense, et ils avaient les yeux légèrement bridés. Juré !


Tchong-K'ing 1938, le Bordeaux-Vichy 1940 Chinois, grouillait de journalistes internationaux, séduisants, à la Gregory Peck. Je les ai retrouvés, quinze ans plus tard, pendant la révolte des Mau-Mau, à Naïrobi, au bar de l'hôtel "Norfolk", bien sûr, assez vieillis, toujours blasés, certains avec des monocles - pour faire Anglais, sans doute...- saoulots et couperosés, mais toujours satisfaits: ils illustraient assez bien la devise du Kenya: "The 4 As: Altitude, Alcohol, Apathy, Adultery". N'est pas Hemingway qui veut !

Peu après, de passage à Saïgon, ils étaient encore au "Majestic", voire à Hanoï, déguisés en settler Clark-Mogambo-Gable par un tailleur indien de Zanzibar. Sentant la transpiration, ils expliquaient la guerre à ceux qui la faisaient. De plus en plus "War Correspondent", ils siégaient au "Saint Georges" ou à l'"Aletti", le Ritz d'Alger, pendant les "évènements"... faisaient le genre "au courant", en bougonnant.

Larry Burrows, Robert Capa, Gilles Caron, David SEYMOUR, Jean-Pierre Pedrazzini, comme Jean Péraud, Sean Flynn et Dana Stone, Henri Huet et Michel Laurent, et aussi Jean Roy, et bien sûr j'en oublie, ils sont tous morts, eux, avec le charme en plus, et parfois la beauté, en tous cas l'élégance. C'étaient des photographes, tout simplement. 101 sont morts en Indochine, dont 12 Français.

Tous les récits enchanteurs de ma Mère m'ont sauvé la mise et la vie. En 1939, guerre déclarée avec l'Allemand, je passai l'oral du bac de Philo à Dijon. J'étais passable, ce qui veut dire médiocre, de partout, sauf en Anglais et en Allemand, O.K., 5 sur 5. Géographie, l'horreur! L'interrogatrice, une dame très bien, la Légion d'Honneur, rare à cette époque pour les dames. 


Voyant mon air de condamné au pilori, elle me pose, sans conviction, une désespérante question du genre: "Combien de tonnes de riz transitent, par an, entre Nankin et Shangaï, sur le Yang-Tseu-Kiang, appelé également ????...Fleuve bleu et qui fait 5500 kilomètres?" Alors, je lui ai dit, poliment:

"Madame, je suis désolé, je  n'en sais rien...et c'est d'autant plus bête que ..." et, à la dame, j'ai raconté MA CHINE, de la bouche du cheval, la Chine racontée à moi, émerveillé, par ma Mère Nénette: la Cadillac du Général, avec sa canne à pommeau d'argent, pour le fameux déjeuner; les bombardements Japonais sur Hankéou, l'incroyable île de Hong-Kong, grouillante de rickshaws (pousse-pousse) et de Rolls-Royce, tellement anglaise, tellement chinoise; les ruelles pleines de petits marchands, les restaurants flottants, les innombrables familles habitant sur des jonques à Aberdeen, les Palaces de romans, les costumes coupés en un nuit dans les plus belles étoffes d'Angleterre, pour "rien"; les fumeries d'opium. La démesure sur un territoire minuscule à côté de la démesure d'un pays gigantesque.

La dame décorée était ravie des descriptions que jamais elle n'aurait pu lire dans les livres de MM.Gallouedec et Maurette, aux pâlottes gravures. Elle en redemandait. C'est elle qui posait les questions. Elle m'a donné 19/20 en me remerciant.

 

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