Docteur Leboyer: éducation et voyage 39

CUFF LINKS N°3

En 1938, Annette, ma Mère, et Gustave partirent pour l'Extrême-Orient. Il n'était pas question de m'emmener; ils m'avaient déjà fait le coup en 1935 avec la Pologne. Mon opinion n'ayant jamais varié, je me cite moi-même, écrivant en 1992, dans "Chamonix, 40 ans dans la vallée" (Editions Glénat), ce qui suit:

"Fin 1935, ma Mère et mon cher Gustave, son mari, partirent en voiture pour Lwow, encore Ukraïne polonaise. Deux mille kilomètres, même en Chrysler, à cette époque, en plein hiver, à travers une Europe Centrale en voie de non-développement, ce n'était pas rien." (Lwow, alors Lemberg autrichienne, vit naître en 1899, Arthur Fellig, qui devint, en Amérique, "WEEGEE THE FAMOUS", THE NUMBER ONE PRESS PHOTOGRAPHER, qui offrit aux photographes avec "Naked City", une de leur trois bibles; les deux autres étant: "Citizen Kane" d'Orson Welles, et "Jamming the blues" de Gjon Mili.)

"Mes parents me confièrent à une accueillante famille d'universitaires brillants et respectables: le père doux et effacé, professeur de sociologie, deux fils écrasants super-cracks, la mère, fille de Victor Basch, autre célèbre défenseur des droits de l'homme. Des gens de gauche irréprochables de bonne volonté, mais entre nous la communication n'était pas prévue, pensable, elle n'eut donc pas lieu. Il est étonnant de cohabiter pendant des mois avec des esprits aussi forts et de n'en rien tirer, ou plutôt de n'en rien recevoir.

Ma chambre donnait sur la rue Schoelcher. Le fait que je passe des week-ends dans un château capitaliste, que j'aille voir tous les Fred Astaire avec Le Quintrec et de Sède, mes deux providentiels copains du Lycée Henri IV, où j'avais émigré depuis Condorcet, le fait que j'écoute du jazz sur ma petite radio en faisant de maladroites claquettes, ne donnait lieu à aucune critique, certes. Mais je n'étais cependant perçu, accepté, qu'en tant que Martien inoffensif par ces gens gavés d'intelligence, mais qui ne connaissaient QUE leur mode d'emploi à eux, au swing pas terrible.

Ce long voyage, cette Pologne, même à l'âge ingrat, cela m'aurait sûrement appris des choses, amusé...Le Dr.Leboyer qui a mis au monde ma fille Prune, la personne qui m'est chère et ma bien-aimée et difficile fille Eglantine, me disait, lorsque j'allais en reportage au Maroc avec la mère d'Eglantine...

"Il vaut cent fois mieux que vous emmeniez votre enfant avec vous, même, si elle dort par terre dans une chambre d'hôtel une demi-étoile, même si les gentils gosses arabes l'embrassent comme des fous, même si elle fait des kilomètres en R 16 à travers l'Atlas, plutôt que de la laisser aux grands-parents, même les plus affectueux! " Period !


Je suis allé en Pologne, enfin, en 1980.

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