Mémoires Charbonnier: histoire aviation, Gustave Moutet 44

"Ils" partirent donc pour Saïgon. Gustave allait mettre en place la première ligne régulière France-Indochine, d'Air France, et rencontrer quelques bons Chinois, aux prises avec leurs communistes et leurs gentils agresseurs japonais.

Le voyage-feuilleton commença dans le luxe de deux wagons-lits single communiquants, débordants de fleurs, comme que si z'avaient été Lilian Harvey et Henri Garat, le couple-vedette chantant de "Princesse, à vos ordres!" ou "Le chemin de Paradis", films de la UfA, kolossales comédies musicales aux sourires en perpétuelle inclusion "Email Diamant", aux blancs uniformes avantageux, aux csardas endiablées!

Les parents firent avec et remercièrent quelques huiles. Moi j'aurais exigé, et obtenu, un wagon-salon dans un train pullman. J'ai toujours rêvé de wagons présidentiels, avec un vrai lit de 160 de large de cordons à glands pour sonner ses "gens", et une salle-à-manger dessinée par Eugène Viollet-le-Duc aidé de Saül Steinberg.

Marseille-Beyrouth fut effectué en hydravion car on survolait la mer. Le vrai voyage, en pointillé, car on ne volait pas de nuit, commença quand ils embarquèrent pour Saïgon à bord d'un Dewoitine 338, trois moteurs Hispano-Suiza de 12 cylindres en étoile, 650 CV, 22 passagers, chef-pilote, Lionel de Marmier. La ligne, devenue, grâce à ce bon Gustave, régulière, emmènera dans ces mêmes Dewoitine 12 à 20 passagers avec des sièges-couchettes, à 260kmh, en cinq jours de Marseille à Hanoï, via Damas.

J'y suis quand même allé en Indochine, quand on l'appelait l"Indo". Ce n'était pas, ce n'était plus la même. Malgré le dévouement héroïque des Légionnaires, des appelés et des Saint-Cyriens, grâce au génial Général Giap, cette Indochine serait bientôt hochiminisée.

Interminables voyages en DC4, en DC6. Mes parents et moi-même sommes encore loin des Super Constellations, élégants et confortables oiseaux aux quatre moteurs Wright de 3200 CV chacun; leur ronflement crescendo lorsqu'il s'allumait les uns après les autres au stand-by était une symphonie fantastique moderne et poétique, ce que ne génèrent pas les hurlements déchirants des réacteurs exaspérés. 
Encore loin de ces wagons à bestiaux gigantesques, les Boeing 747-400, 322 tonnes, 373 clubmedistes un peu serrés, 916 kmh., onze heures non-stop, pour Tokyo, à 10 000 mètres, avec retro-projection de films de préférence non-catastrophe...
Quand au monstre Hercules C 130, bourré de tonnes de mort prêtes à l'emploi, ou l'oiseau de feu, "Concorde", bourré de caviar, de Champagne millésimé, de golden people et de golden credit-cards, Paris-New-York, 3 heures et quart, à peine le temps de la digestion et de la sieste...
A quand le tunnel sous l'Atlantique avec un nouveau superlatif: le XXXLLLTTTGV., avec des planchers et des plafonniers de verre-aquariums lumineux, où nageraient, voiles diaphanes au ralenti de Martha Graham, des poissons, selon arrivage, issus des fonds sous-marins traversés, pour respecter la couleur locale et se rappeler au bon souvenir de l'Océan.

Cher premier Bloch 220, déjà épicurien pour mon baptême de l'air Le Bourget-Londres en 1938. Cher DC3 (ex Dakota, exC47), jeeps du ciel, increvables, qui se posaient partout même avec une aile plus courte de DC2! Cher JU 52, trimoteur teuton en tôle ondulée, élégant comme une fourgonnette Citroën grisâtre. Chères "Caravelles" au nom de décapotable pour garçon-coiffeur, qui m'emmenèrent si souvent (20 voyages, 6 albums) embrasser, tel Jean-Paul II, le tarmac brûlant de mon cher Maroc. Je suis heureux, je suis chez moi.

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