Cocteau, Radiguet, Man Ray, à Paris 19


10 by Jean Philippe Charbonnier

Panthéon et toits de Paris 5ème


Comme il était partout où il fallait être, mais, le plus souvent avant tout le monde, il y avait aussi naturellement Jean Cocteau, accompagné de Raymond Radiguet. Ils habitaient alors, rue d'Anjou, chez la mère de Cocteau dans ce vieil immeuble où l'ascenseur, disait-il..."datait d'avant l'invention des ascenseurs". 

Radiguet exaspérait Cocteau, exprès, en mangeant du camembert à la pointe de son couteau. Terriblement myope, il l'exaspérait aussi en portant un monocle dangereusement cassé, rien que pour l'emmerder. Il l'exaspérait encore plus, quand, dans l'atelier de mon père complice, rue de l'Ancienne Comédie, il venait retrouver Bronja, ravissant mannequin polonollandaise, au corps, aux seins ravissants, aux lèvres effrontées de Vanessa Paradis. 

Elle posait nue pour les peintres, et pour Man Ray avec Marcel Duchamp, nus tous les deux. Elle deviendrait la femme, toujours ravissante DU René, comme elle appelait, avec son petit accent pré-hollywoodien son célèbre mari, René Clair. Pour elle et sa jolie soeur Tylia, très souvent nue, elle aussi, devant les artistes, on avait fabriqué une légende selon laquelle elles étaient filles d'un rabbin plutôt polonois; ça ne se voyait guère, surtout à poil!

Bronja avait offert à Jean-François, son fils, trois ans, ravi, une montre-bracelet. Ne sachant évidemment pas lire, l'enfant, tout fier, au jardin, demandait aux gens, en leur montrant sa belle montre, de lui dire l'heure.

1995, en bas de chez moi, rue du pont Louis-Philippe. Assise, un peu tassée dans une Mini-Austin, une dame au profil très Hepburnien, (Katharine, pas Audrey), visage lisse et sans aucun fard. Je tape au carreau; la dame reconnue aussitôt, qui ne mettait jamais sur son visage autre chose que de la crème incolore et luisante, pas vue depuis 1955 à l'Ambassade de France à Moscou, me regarde, une réminiscence-papillon imprécise, au coin de l'oeil. 

Je l'éclaire en lui disant:"Pilou! Comment allez-vous, after so many years ?" - "Pilou, le fils d'Annette?" - "Mais oui, le fils d'Annette. You haven't changed a bit, bravo..." Elle était irréprochable, son kaléïdoscope tournait sur lui-même, sans accroc. Petite émotion, polie, très polie.

Celui de Rosine contenait des morceaux de verre brisés, de vie brisée, de rasoirs-chien-andalou menaçants, couleur bleu-acier, mauve-chagrin. La voûte du barrage avait cédé, flots de larmes et de sang. Voilà.

Radiguet avait donné son "Diable au corps" à mes parents et l'avait dédicacé ainsi:"Aux petits Charbonnier, leur ami; pour apprendre à lire à Pilou. "Je l'ai vu, ce livre, ce cadeau "rare" d'un très jeune homme si doué, et je l'ai lu, et il a disparu. Merde et merde et merde.  Et j'ai lu "Le Bal du Comte d'Orgel". 

Je les ai rachetés, ces livres. Il faudra que je trouve ses poèmes des "Joues en feu". Radiguet ne pouvait deviner en m'offrant, en 1923, ce premier livre de lecture, que petit Pilou devenu "Ye olde Pooloo", n'aurait lu dans sa vie QUE tout Radiguet, tout Cocteau et tout Labiche, mais picoré beaucoup d'images.

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