Soldat inconnu, Douaumont, Anselin, Verdun 58

La "Victoire en chantant...sachons vaincre ou sachons mourir!"
...Si la République vous appelle, pour un nouveau gâchis, une nouvelle boucherie criminelle, faîtes le mort !



Feu le Général était déjà convenablement servi en décorations diverses: de Norvège, de Serbie et même le Mérite Agricole (!?); il était Officier de la Légion d'Honneur. Le 2 novembre 1916, il reçut, en compensation de sa vie offerte dans un ultime combat, la Croix de Guerre avec palmes. Les distinctions posthumes n'ont jamais ressuscité ni consolé personne. Alors !

La récompense d'Ernest, François, Amédée, pour sa mort: la MORT, en grand format. Il n'était qu'un des 362.000 soldats français, morts humblement ou blessés, pour la France à Verdun, un de SES 850 hommes dont 23 officiers tombés ce 24 Octobre 1916. Il est hélas certain que plus d'un mourut en même temps que lui des éclats de ce même obus, ou de quelqu'autre, qu'importe. Ce qui est certain, c'est qu'il fut un des SOIXANTE-DEUX GENERAUX FRANCAIS A MOURIR SUR LE FRONT, EN 14-18, dont un suicide en 1914 devant un désastre annoncé, UN DES CINQ TUES A VERDUN, LE SEUL en 1916.

Dix-huit mois de combats dans la boue, l'horreur putride des tranchées, sillons aléatoires, taillés dans des terres à jamais bouleversées.

Dans cette zone maudite, 9 villages furent entièrement détruits et jamais reconstruits: Fleury, village-martyr, 450 habitants en 1914, aujourd'hui: ZERO habitant. Douaumont: 288 habitants en 1914; en 1976: 12 habitants.

Depuis 1918, un désert de 15.000 hectares s'étend à tout jamais, autour de Verdun; il est classé ZONE ROUGE=DANGER="non edificandi", des milliers d'obus étant encore enfouis dans le sol.

Osera-t-on jamais nous montrer les images de cette maudite terre regorgeant de cadavres, où des ossements de pieds sortent de brodequins INTACTS (modèle 17), où des colonnes entières sont enfouies sous la caillasse?

Paysages mille fois défigurés, reliefs atomisés, sans visage, lunaires, mais d'une lune que n'éclaire aucun soleil. 

C'est ce que virent en 1918, hallucinés, Monseigneur Ginisty, Evêque de Verdun, et la Princesse de Polignac, en parcourant le champ de bataille de Verdun enfin silencieux; silence de mort sur nature morte défoncée, trous d'obus et entonnoirs, à l'infini, ossements jaillissant de terre ou jonchant le sol, désordonnés. L'inimaginable horreur ! Ils décidèrent aussitôt que l'on ne pouvait laisser ainsi ce champ couvert de morts... inconnus et gloire. Une souscription fut ouverte, des fonds furent collectés, afin de réaliser, comme dernier repos, un ossuaire digne de tous ces braves sans noms. La Générale Anselin se démenait elle aussi, allant jusqu'à vendre des cartes postales de Douaumont avec un cachet spécial !

Parallèlement, en 1920, un reboisement général en résineux fut entrepris, afin de redonner un visage humain à cette zone devenue verte mais restant, à vie, rouge.

En 1932, enfin, à 1,5 km du Fort, l'Ossuaire de Douaumont fut inauguré. Il était destiné, comme son nom l'indique, à recevoir les "restes" des soldats inconnus. Les ossements de 130.000 soldats furent installés à l'intérieur du cloître, dans 20 caveaux comportant, vers l'extérieur, d'épaisses et larges vitres: ainsi l'énormité d'un sacrifice abominable, soudain affreusement tangible, regarde dans les yeux les 400.000 visiteurs annuels, qui n'oublieront jamais. Le cimetière militaire national, qui jouxte l'ossuaire en contrebas, destiné, lui, aux cercueils des soldats identifiés (15.000), ne sera opérationnel qu'en 1948.

Majesté des lieux, ordonnancement parfait des tombes, paisible campagne, et surtout omniprésent héroïsme des 300.000 hommes, dont 100.000 JAMAIS RETROUVES, tombés pour reprendre ce damné fort à 338 mètres d'altitude. Étrangeté forcément spartiate, spatiale et martiale, voire phallique, de l'imposante et noble Tour des Morts, 46 mètres de béton, coiffée d'un heaume, d'une sorte de bourguignotte polonaise géante qui, la nuit, rayonne jusqu'à l'horizon avec ses puissants phares, tels des projecteurs de D.C.A. Tout ici est dans l'harmonie recueillie du temps arrêté.

Avant la défaite de 1940, une place de choix avait été souhaitée par les Anciens Combattants, pour le Maréchal Pétain, encore vivant, toujours en activité, sinon en état de marche. C'eût été une faveur spéciale accordée au "Vainqueur de Verdun", les cimetières militaires étant rigoureusement réservés à ceux qui ont participé physiquement aux opérations. Pour les raisons que l'on sait, c'est à l'Ile d'Yeu que repose, depuis 1951, l'ancien Chef de l'Etat Français.

En octobre 1916, le Général Anselin avait été enterré, aussitôt après sa mort, dans un cimetière provisoire, sur place, à Fleury,  près de son P.C., là où il avait été tué. On lui trouva un vrai et alors rarissime cercueil en bois, plombé. Des thuyas entouraient sa tombe. Sa veuve avait alors émis le souhait d'être enterrée, en son temps, à ses côtés. Militairement, administrativement, cela était totalement EXCLU. Découragée, la pauvre femme perdit tout l'enthousiasme combattif qui sied à une Veuve de Général mort au feu, et pensa, sans rancune, à entrer dans les Ordres. Elle devait mourir, en 1944, des misères de l'Occupation, et fut enterrée, toute seule, dans le petit cimetière de Sainte Gemme, dans le Cher, berceau de la famille.

C'est donc en 1948 que le fameux cercueil fut transféré à Douaumont, au cimetière militaire, et non à l'Ossuaire, puisque le Général était tout, sauf inconnu. Du bois, il ne restait rien, mais grâce au plomb parfaitement étanche, le corps n'avait pas "bougé", impressionnant ! Le pantalon était toujours bleu marine et ses larges galons, rouges.

Le Général fut enfin installé dans un cercueil tout neuf à une place digne de lui, la place d'honneur, entre les deux escaliers qui descendent de l'Ossuaire, et face aux 15.000 croix de bois, en béton, de se camarades disparus.

L'INCONNU qui repose sous l'Arc de Triomphe, à Paris, vient-il de Douaumont ? Non, ou peut-être, car on ne connaît pas sa provenance. En effet, les corps de HUIT soldats inconnus, mais identifiés comme Français, furent recueillis dans les huit secteurs de la première guerre mondiale (Flandres, Artois, Somme, Chemin de Dames, Champagne, Verdun, Ile de France, Lorraine) et déposés dans des cercueils parfaitement identiques et sans aucun signe distinctif. Ainsi, ce total anonymat donnerait-il encore plus de signification au choix final de celui qui deviendrait l'incarnation de tous les morts de la Grande Guerre.

Le 10 novembre 1920, à 15 heures, à la citadelle de Verdun, André Maginot, ministre des Pensions et futur ministre de la Guerre, s'avança vers le soldat Auguste THIN, fils d'un père disparu, originaire de Caen, engagé volontaire de la classe 1919, un des rares survivants du 132ème régiment d'infanterie, et lui dit: 

"Soldat, voici un bouquet de fleurs cueillies sur les champs de bataille de Verdun, parmi les tombes de tant de héros inconnus: ce bouquet vous allez le déposer sur un des cercueils. Ce cercueil sera celui du soldat que le peuple accompagnera demain du Panthéon à l'Arc de Triomphe... soldat dont le sacrifice anonyme a sauvé la Patrie, le Droit et la Liberté.

Pâle d'émotion, le soldat Thin prit des mains du ministre un bouquet d'oeillets rouges et blancs, et sa jeune main innocente le déposa sur le 6ème cercueil, se mit au garde-à-vous, et la Marseillaise retentit. (Le soldat Thin était de la 6ème division du 132ème R.I., 1+3+2=6...)

Le 11 novembre, le cercueil de l'Inconnu, recouvert d'un drapeau tricolore, fut transporté sur un affût de canon au Panthéon, puis à l'Arc de Triomphe. Le 27 janvier 1921, l'Inconnu était enfin installé dans son tombeau, sous la dalle où est gravé:
ICI REPOSE UN SOLDAT FRANCAIS MORT POUR LA PATRIE 1914-1918 et sous la flamme qui brûla depuis lors pour l'éternité.

Le soldat Thin, choisi lui aussi au hasard, entra ainsi dans la légende, comme plus tard Maginot et son "incontournable" Ligne, moelleux édredon de la "Drôle de Guerre".

...

Aujourd'hui, dimanche 23 juin 1996, Mon Général, vous m'avez fait pleurer, à mon tour. Je venais d'être tétanisé par le dessin en double page de Georges Scott, à l'incroyable légende: "Nuit calme devant Douaumont en terrain reconquis", publié dans "L'Illustration" du 4 novembre 1916, calme, certes, mais indescriptiblement lugubre, car ce n'est qu'un immense bourbier désolé, constellé de cratères d'obus pleins d'eau, sous un ciel noir. 


Terrés dans un méchant trou, huit bougres justement, sont pelotonnés, l'un deux veille, les yeux dans le néant. Ces poilus de 14-18 sont bien les ancêtres d'autres "Poilus", les G.I. pas rasés, héroïques, pitoyables de 41-45, crottés jusqu'aux yeux, mais légitimement glorifiés par les traits impitoyables d'Ernie Pyle et de Bill Mauldin, déjà nommé.

Je suis alors tombé sur le numéro suivant, celui du 11 novembre (encore deux ans...): Poincaré décore à la pelle et à juste raison, les heureux survivants aux étendards fatigués, et alors, VIRGULE, GROSSE VIRGULE, page 439, une photographie pleine page, VOTRE PHOTOGRAPHIE PLEINE PAGE, la première, dernière et seule image que j'ai de vous. Vous êtes allongé sur un brancard de campagne, porté par un Sergent-Chef et un infirmier casqué; une infirmière en blanc et un infirmier marocain, visiblement très émus penchent leurs regards vers vous. Emmitouflé dans votre capote, pantalon aux deux larges galons, leggins. Un grand pansement entoure votre tête et une autre votre bras droit. Vous avez les yeux fermés. Pour toujours.

Après tant de recherches, et dans l'étonnante mémoire de ma Mère, 95 ans, et dans les fabuleuses archives du Fort de Vincennes, notre héroïque et discret ancêtre existait enfin.

Mort en 1916, le Général-gisant était, 80 ans plus tard, VIVANT !

Titre de la photo: "Un Général tombé dans la bataille qui nous a rendu Douaumont" Sous-titre: "Le corps du Général Ancelin (avec un "C", et non un "S") rapporté à l'ambulance. 

Et la légende disait:
"Le Général Ancelin, comme l'a écrit à sa Veuve le Général Nivelle, est glorieusement tombé le matin de la victoire qu'il avait préparée et dont il ne doutait pas..."Et on doit citer aussi ces phrases d'une lettre écrite par le Général Passaga, commandant la division à laquelle appartenait la brigade Ancelin: "Sa mort a été vengée par le succès éclatant que vous savez: la brigade Ancelin a précédé toutes les autres troupes en avant du Fort de Douaumont. Ce haut fait était le plus bel hommage que nos braves enfants pouvaient rendre à la mémoire de leur chef bien-aimé".

Tout est dit.


***

Il est intéressant de noter, qu'à Paris, on a donné le nom de 61 généraux, à des rues, avenues, places, squares, cités. Le premier de la liste alphabétique est évidemment NOTRE ANSELIN, doté d'une microscopique avenue, vers la Porte Dauphine, dans le XVIème. 18 de ces généraux sont également dans le XVIème, dont le Général Mangin, 10 dans le XVème, 8 dans de VIIème, et un seul dans le XXème, le Général Nessel.

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