Mémoires Charbonnier: premiers émois 52

Bandol. Août 1941. Un beau cadeau pour un beau cadeau.

Sollicitée par un ancien jeune amant, séducteur et farceur, Guy Kisling, Christiane, 28 ans, curieuse et amusée, avait accepté gentiment de me faire, en se jouant, le plus beau cadeau de mes vingt ans.  Elle avait un corps admirable, jambes, mains, peau douce, comme si elle prenait des bains de lait d'ânesse, et un violent appétit sexuel. Elle avait aussi, mais qu'importe, un vieil amant jaloux, au métier très fouineur.

Emu, j'étais, pour ne pas dire terrorisé, mais j'étais bien tranquille... On ne s'aimait pas du tout ! C'était un jeu certes très plaisant, très physique, lucide, mais sans passion. J'avais aimé, oui, oui, oui. Et on avait recommencé, oui, oui, oui. La drôlerie, pour elle, de mon déniaisage la motivait et l'excitait. Son corps souple et lisse, made for love, enchantait mon sexe plus habitué à la tristesse.

Des baisers profonds, oui, même lorsque ses lèvres luisaient de sperme...Oui, mais, ATTENZIONE, on n'était pas dans le noir, au cinéma, ni sur la banquette arrière d'une bagnole, dans un drive-in, alors défense de s'aventurer, d'explorer, de toucher, de caresser quoi que ce soit, étrange, non ?

Remarquable cependant, inoubliée initiation dans cette chambre en ville, Carné-Trauner, qui sentait, et pour cause, les punaises et le soufre (doublement). Très impressionnant cet instant où, pour la première fois, pour de vrai, on entre avec son sexe autonome dans le sexe épanoui d'une dame, qui vous aspire. Oui mais, j'avais trop pensé à cet instant, je l'avais mimé dans ma tête, autrefois, avec une toute autre demoiselle dont je fus longtemps très épris, en vain. Reconnaissant j'étais, mais pas du tout amoureux de cette complaisante et experte jeune femme...Ce fut une date, un lieu? Point, mais merci quand même, chère Christiane !

J'aimais, à ce moment-là, et vraiment, une délicieuse jeune fille de seize ans, Martine, qui pleurait dans mes bras parce qu'elle voyait parfois mon regard s'égarer sur d'autres demoiselles plus lestes et dégourdies qu'elle, du genre salopes tripoteuses. Ah, si ç'avait été avec elle, quel bonheur ! Quelle folie, aussi, désordonnée, forcément malhabile, mais totale, sincère. Quel souvenir précieux, fabuleux, c'eût été de découvrir l'amour à tatons, avec elle, dans la chaleureuse lingerie de "La Baie", la maison de Renée (Kisling), qui nous aurait protégés, guidés, elle qui savait ce que l'amour voulait dire, et la chaleur de l'affection. Renée, LA MEILLEURE AMIE de ma Mère, était toujours parfumée de ses mystérieux mélanges de vétiver et de fonds de flacons, de clous de girofle plantés dans des oranges.

Alors faisons comme si c'était avec elle, tendre, innocente, fragile, et qui sentait bon les petits pains chauds. C'est impossible ! Mais non ce n'est pas impossible. Le souvenirs inventés, bien qu'ils soient derrière un tulle, comme l'orchestre d'Edith Piaf, les décors de fond de scène du Bolchoï, sont souvent plus forts que les vrais conservés dans la naphtaline des conventions, "Craven A" froides, consumées, posées sur les cendriers de la mémoire.

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