Surréalisme, Max Ernst et ses femmes 24

Des amis étonnants. Oui, comme on n'en fait plus. Bébé Bérard en costume croisé très sale, laissait son Westie trottiner en liberté, dans de distingués salons, et ramassait une à une, à la main, avec ses ongles noirs, les crottes du chien qu'il mettait tranquillement dans les poches de son veston.

Roland Toutain, Rouletabille acrobate sur ailes d'avion en vol, ou dans son Auburn Speedster V12, Super Charged 851 aux gros tyaux d'échappement latéraux, genre Mercedès SSK, aventurier-séducteur désinvolte, ayant tout essayé, et davantage. Il faisait le tour de son bras avec son sexe...pour rire !


Léon-Paul Fargue est invité à diner pour huit heures, chez des amis, "des amis qu'il connaissait". André Beucler, son poisson-pilote, ponctuel, auteur de l'immortel "Gueule d'Amour", le trouve assis sur les marches de l'escalier, un étage plus bas que leurs hôtes, à 7 heures 59. Beucler lui demande: "Léon-Paul, que faites-vous là?" Et Fargue lui répond: "J'attends d'être en retard..!"


J'ai pu aussi faire la jonction à Saint Martin d'Ardèche, que Papa lui avait fait découvrir, Max Ernst avait acheté une vieille maison dans le jardin de laquelle il fit des sculptures magnifiques, faites pour ce jardin. Je ne connaissais Max que par son fameux tableau: "Au rendez-vous des amis" de 1922, où il a peint tous les surréalistes, numérotés, tous très chics, costumes et cravates: Crevel, Soupault, Arp, lui-même, Max Morise. Eluard, Paulhan, Benjamin Péret, Aragon, Breton, Chirico, Gala encore Eluard et pas encore Dali, et Robert Desnos.


Léonora Carington, lutin à lutiner toute crue elle aussi, et Max, venaient se baigner avec nous dans la rivière, et ses bras-morts le long desquels nous campions. Un matin, Papa et moi allons les voir. Léonora était seule, et venait de se lever, Botticelli coquine, pieds nus, vêtue d'une simple robe de paysanne imprimée, très légère, en guise de chemise de nuit. 

Elle nous dit, avec son délicieux accent: "Attendez, je vais me changer." Elle monte dans sa chambre et redescend, presqu'aussitôt...entièrement nue! Irrésistible (bis). J'avais quinze ans. Ce fut ma première femme nue, et aussi mon premier manifeste surréaliste, provocateur et charmant. Léonora avait évincé Marie-Berthe. Son tour viendra.


En 1940, Max, en plus des graves problèmes liés à l'occupation - il était surtout allemand, donc étranger, donc internable...- et la perspective du pire, donc la nécessité de fuir, avait parallèlement fini sans doute par se lasser des extravagances plus ou moins surréalistes, des folies plus ou moins lucides de Léonora." 


Madamemax-e' ", comme l'appelaient gentiment les Ardèchois, supporta alors, mal, très mal que lui soit préférée une dame américaine, beaucoup moins jeune, beaucoup moins belle, mais fort riche, grâce au cuivre familial: Peggy Guggenheim. 
Grand amateur d'art, comme son oncle, Solomom R., elle dirigeait de plus une galerie à New-York... Alors, tandis que Max et elle quittaient l'Europe en guerre pour aller se marier aux Etats-Unis, Léonora, "plaquée" à 24 ans, restait abandonnée en Espagne, désespérée.


Il s'en suivit une terrible dépression qui entraîna un indispensable internement dans un hôpital psychiatrique. Mais elle tira de son enfermement espagnol son premier livre: "En bas". Suivirent: "Le cornet acoustique", "La Porte de pierre", "La Débutante" et "Pigeon vole". Livres étonnants parfois terrifiants.


Le beau mariage ne dura que deux ans...car en 1943, Max rencontra LA, semble-t-il, femme de sa vie, la bonne: Dorothea Tanning. Ils vécurent heureux "ever after", à Sedona, en Arizona, puis, jusqu'en 1976, à Seillans, dans le Var. 
Et partout, toujours, Max s'appropriait l'espace, l'investissait, fut-il provisoire: maisons, appartements, chambres d'hôtel. Il modifiait l'environnement par de vastes peintures murales, des créations sculptées, laissant partout sa marque, belle et drôle.


Lise Deharme étrange et parfois vénéneuse riche protectrice de l'avant-garde surréaliste, de Tristan Tzara à Valentine Hugo, écrivain très particulière, mit du vernis noir sur ses ongles à la mort de son assez génial mari, Paul, grand publicitaire radiophonique. 


Elle était en permanence imprégnée d'un violent parfum, "Cinq fleurs" de Forvil. Elle avait de longs yeux faussement suppliants et vainqueurs, et toujours une impressionnante allure de juge, et, même dans des draps très usés, fin de règne, une moue troisième degré, sans réplique.
Sur son portrait par Man Ray, un lycoperdon à pierreries, champignon non vénéneux, lui, posé sur la tête, elle a ce regard mi-clos, mi-lointain et pénétrant où elle ressemble terriblement à Lise Deharme.


1935, ma Mère et elle se promènent, Dieu sait pourquoi, rue Lepic. Avisant un rempailleur de chaises accroupi sur le trottoir, entouré de sièges re-canés à neuf, elle lui demande: "Monsieur, savez-vous où je pourrais trouver un rempailleur de chaises?" L'artisan, interloqué, et moi, en restons comme empaillés à notre tour. 
Je venais, à 14 ans, d'avoir la démonstration N°1, exemplaire, de ce qui fait, avec le goût, totalement défaut aux enfants: l'humour, le  "non-sense". Essentiel. Lise m'avait dépucelé l'esprit.

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