Café Passy, alcool,16ème arrondissement,18

Un bistrot bête, de la place Chopin, bête, à une heure très très bête, celle où les solitaires s'accrochent à des derniers "pour la route" et au zinc et au patron qui essuie les verres et qui les écoute, ou fait semblant, parce que c'est tous les soirs pareil et qu'il aimerait bien aller se coucher. 

C'était il y a longtemps, quand j'habitais encore l'impitoyable XVIème et que je m'égarais parfois dans un café, pour souffler un peu. Dans cette halte étrangère, il m'a bien semblé reconnaître, avec terreur, car absolument, cette demi-vieille, demi-alcoolo, usée, aux vêtements plus que fatigués, avec une vieille usure, aussi, d'opium des années Trente, la drogue chic d'alors, partagée dans un duplex de cinéma d'une rue sinistre de Passy, et il y a l'embarras du choix, avec son charmant acteur célèbre (voir plus haut) qui, lui, sut s'en sortir.


Sinistres rue Alphonse XIII, rue des Eaux; mais c'est rue Alfred Bruneau, idem, qu'ils habitaient, avant-guerre, qui finit...Place Chopin. Le bistrot, voilà. Je l'ai saluée par son nom, ses yeux ne m'avaient pas trompé. Elle fut, un instant interdite, comme électrisée. Je ne savais pas quoi lui dire. Les beaux jours, les cocktails, le Midi, les sunlights ? Connerie, discours misérable. 
Pas un mot, un horrible téléscopage, un carambolage dans ma tête. Peut-être l'avais-je dérangée dans un pauvre trip sans joie, nécessaire et chaque jour recommencé. Je m'en voulais et je m'en serais encore plus voulu de ne pas lui avoir dit qu'elle existait encore. Que ses yeux...


Le bon Daniel Legrand, neveu de Claude et fils cadet de Jean Nohain ne l'a pas non, plus, oubliée. Il s'occupe d'elle et vient la voir régulièrement dans la petite maison qu'elle a échangée contre le petit château, trop lourd, cadeau de Claude. Elle y vit, toujours vivante et vive, sans Blanche, sa bonne noire, mais avec ses chats et...sa seule légion d'Honneur.


Rosine, ange-oiseau de paradis surnaturel, au plumage fou, était si belle, à plat ventre, sur le sable, soleil au soleil, quand petit Pilou la contemplait, et la contemple encore sur des photos anciennes, 6 1/2 x 11. Qu'importe si des images indiscutables rendent réels d'impossibles, de merveilleux souvenirs.

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