Tel Jean-Jacques Gauthier et son
épatant livre, « Histoire d’un fait divers », je dis que si vous
frappez à n’importe quelle porte, à n’importe quel étage de n’importe quel
immeuble et que vous demandiez gentiment à la dame, au monsieur qui vous
ouvrent de vous raconter leur vie, comme ça, pas pour la Télé, ni pour la
Radio, POUR RIEN « …mais pourquoi, pourquoi nous ? Ce n’est pas
intéressant ! » vous répondront ces braves gens.
Bien sûr que si, vous allez voir comme c’est passionnant. Et ils vous raconteront, tout d’abord par bribes, puis excités, émus par ce jeu inconnu, inattendu, ils parleront de plus en plus vite, se coupant la parole, ils raconteront aussi leurs parents, comment ils se sont connus, ils sortiront les photos, témoins précieux d’une jeune vie ou du quatrième age, leurs yeux brilleront et ils vous offriront du Saint Raphaël avec des cacahuètes soufflées, qu’ils avaient achetées en prévision d’une éventuelle visite…Ils avaient rangé tout ça, oublié.
Bien sûr que si, vous allez voir comme c’est passionnant. Et ils vous raconteront, tout d’abord par bribes, puis excités, émus par ce jeu inconnu, inattendu, ils parleront de plus en plus vite, se coupant la parole, ils raconteront aussi leurs parents, comment ils se sont connus, ils sortiront les photos, témoins précieux d’une jeune vie ou du quatrième age, leurs yeux brilleront et ils vous offriront du Saint Raphaël avec des cacahuètes soufflées, qu’ils avaient achetées en prévision d’une éventuelle visite…Ils avaient rangé tout ça, oublié.
La vie des gens est toujours
extraordinaire, dans l’excès comme dans le calme plat, et ils ne s’en rendent
pas compte; et puis ils n’en parlent pas. Bof ! Ils ne portent d’autres
décorations que les blessures imprimées par la vie sur leurs visages, sur leurs
mains, dans leurs regard. Ils sont formidables, les gens. C’est pour cela qu’il
faut les aimer. Et c’est eux qui vous remercieront de l’inestimable cadeau
qu’ils vous ont fait et que vous avez fait éclore ensemble.
Sans creuser au delà de 150 ans,
je peux dire que mon grand’père paternel est un enfant de la révolution
industrielle du ½ XIXème siècle. Sa mère, cantinière sur la voie de chemin de
fer en construction Nice-Vintimille, fut séduite par un robuste poseur de
tirefonds, un petit Ligure sans doute, vu la taille du grand’père. Vintimille,
tout le monde descend, et l’arrière grand’mère monte à Vienne (Isère, pas
encore 38) avec ses deux « gones ».
Ces enfants, à moitié travailleurs immigrés, travailleront très tôt dans les usines textiles locales le jour, et le soir, et les samedis, dimanches et fêtes carillonnées, ardemment, sur un métier à tisser d’occasion installé dans leur très modeste logement des bords de la Gère, triste cours d’eau encaissé, voué aux égouts empuantis par les tanneries.
Ces enfants, à moitié travailleurs immigrés, travailleront très tôt dans les usines textiles locales le jour, et le soir, et les samedis, dimanches et fêtes carillonnées, ardemment, sur un métier à tisser d’occasion installé dans leur très modeste logement des bords de la Gère, triste cours d’eau encaissé, voué aux égouts empuantis par les tanneries.
Petit métier, un, deux, trois.
Atelier, un, deux, trois. Le frère et la sœur, mariée à un autre stakhanoviste,
ont bientôt chacun une usine, une, deux, trois ! Edifiante histoire,
« labor omnia vincit improbus », que celle de l’ouvrier devenu
patron, digne de la « Veillée des chaumières » ou du « Pélerin »,
mais histoire vraie.
Le futur grand-père, plein de
sous, épousera une jeune fille bourgeoise, bien tournée, le nez en trompette,
avec des accroches-cœurs sur le front, collés à la gomme arabique, très
convenable, du Midi, moins fortunée, mais plus grande que lui. Ma future
grand’mère avait été expédiée dans le nord afin qu’elle y perdit son
inacceptable accent d’Alès…
Ainsi, à Lyon, rencontrera-t-elle l’« homme de sa vie », qu’elle méprisera toujours un peu, et attrapera-t-elle un incurable accent autrement moins charmant et chantant que celui du Midi, pas Gnafron, quand même, mais simplement lyonnais, di-tes-donc !
Ainsi, à Lyon, rencontrera-t-elle l’« homme de sa vie », qu’elle méprisera toujours un peu, et attrapera-t-elle un incurable accent autrement moins charmant et chantant que celui du Midi, pas Gnafron, quand même, mais simplement lyonnais, di-tes-donc !
Comme beaucoup de bourgeois et de
retraités, les grands’parents descendaient passer l’hiver à Nice, dans leur
Buick à éclairage électrique. Ils m’envoyaient régulièrement l’épais supplément
en couleurs du « Petit Niçois » consacré au redoutable Carnaval de
Nice: géants boursoufflés en carton aux faciès de grenouilles hilares, accortes
jeunes filles en jupes folkloriques rayées rouges et blanches, le chapeau de
paille au ruban noir légèrement en arrière, dressées sur les chars extravagants
du corso fleuri; telles Flore la Romaine et Amalthée, la chèvre de l’Age d’Or,
que, « Quia nominor Leo », je baptise déesses de l’Abondance, de la
Prospérité et de la Joie, elles balançaient gracieusement des poignées
d’œillets et de mimosas aux badauds enchantés qui se les arrachaient pour les
mieux piétiner quand la fête serait finie.
Chaque soir, en rentrant de sa
promenade, le grand’père rapportait à son épouse, très touchée et peu
soupçonneuse, malgré la régularité de la charmante attention, un joli bouquet
qui ne lui coûtait pas cher. Il passait en effet tout ses après-midi en
compagnie d’une dame fleuriste qui lui offrait certainement plus que des roses
rouges de la passion…
L’été, ils louaient une villa à
Sainte Maxime, la « Villa Suzette ».
L’autre grand-père, ce fut plus
tard, à Saint Tropez. Ces grand’pères-là n’achetaient pas de maisons. Ils
louaient. Dommage !