En 1922 mes parents descendirent
dans le Midi dans une Harley-Davidson achetée aux vieux surplus militaires
américains. C’était le célèbre modèle « First War », 16CV, bicylindre
en V, 988,83 cm3, qui pouvait atteindre 100 km à l’heure !
Au side-car, qui ressemblait à la baignoire de Marat, était arrimé mon lit-cage; j’étais bébé, dans les bras de mon emmitouflée Mère, dans le rôle de la kangouroute (nationale 7…Bon je sais, mais il y a de ces vermotteries salutaires auxquelles on ne peut résister…).
Au side-car, qui ressemblait à la baignoire de Marat, était arrimé mon lit-cage; j’étais bébé, dans les bras de mon emmitouflée Mère, dans le rôle de la kangouroute (nationale 7…Bon je sais, mais il y a de ces vermotteries salutaires auxquelles on ne peut résister…).
Papa a toujours eu des moyens
de locomotion très aérés, et, à l’image de ses successives habitations, d’un
parfait inconfort, compensé largement par le charme insolite de ses
imprévisibles dévolus: menuiserie, bureau de poste, église, grenier à foin,
ruine+rempart médiéval+scorpions, entrepôt d’usine glacial, 1000 chambres d’hôtel,
folie de château, atelier délaissé de « Fauve » reconnu,
parfois.
Il investissait tous ces
lieux avec bonheur et légèreté,
punaisait trois pagnes nègres pour faire une chambre de son lit de camp,
une salle de bains d’un lavabo à robinet unique et d’un tub en toile – toujours
les surplus U.S. – Ici, compagnon fidèle,
son mannequin articulé hermaphrodite grandeur nature, que j’adorais, et
là, au milieu, un gros chevalet d’atelier. Dans quelque assiette dépareillée
ses gros tubes de couleurs pressés, tortillés. Par terre, l’huile de lin, la
térébenthine. J’adorais l’odeur de noix brulée de siccatif, et celle, planante,
de peinture et d’essence, autant que sa peinture, elle-même.
Une félicité, une
récompense parfaites, à quelqu’âge que ce fut, ont toujours été, d’écouter
mon Père, seul avec lui, jouer au piano, comme au « Bœuf sur le toit », des vieux standards : « I can’t
give you anything but love, baby ! », « Shine », « Mood
Indigo »…, dans ce parfum subtil, qui aujourd’hui encore est en moi,
toujours, mon Papa l’artiste. Voilà !
Ce « Fauve », né à
Chatou en 1880 était André Derain, qui disait : « Je suis arrivé
à Paris en sabots, c’est d’ailleurs la première fois que j’en portais ! » Il avait laissé à mon père son atelier de la Cour de Rohan, charmant vrai décor
silencieux. Cette cour, les fenêtres, la porte et les grilles de l’atelier
furent immortalisées en 1938 par une très belle photo de nuit de Marcel Bovis.
J’avais beaucoup aimé cette photo publiée dans un des admirables et précurseurs
albums d’« Arts et Métiers Graphiques » de Charles Peignot. Marcel
Bovis m’en a donné un tirage le 14 novembre 1983, et moi je lui ai humblement
donné ma photo prise le 8 mai 1945, Place du Bourg Tibourg, à Paris IVème, soir
de liesse populaire bien réelle, de gentilles fraternisations inter-armes,
inter-Alliés et inter-sexes. L’Allemagne a capitulé.
Mon père lorsqu’il était
lycéen à Vienne, en 1913, prenait des leçons particulières avec son professeur
de philosophie, Monsieur Allet. Cet homme bon et sensible, connaissant le goût
de mon père pour la musique et souhaitant partager son savoir avec un jeune
homme heureux, l’invitait, à chaque visite, à jouer librement, à apprendre
autodidactement sur son piano pendant une demi-heure avant de travailler.
A la
même époque, Papa portait des éperons de cavalier sur ses bottines de ville;
pourquoi ? Pour emmerder ses parents, punkisme avant l’heure !
Prémonition : il fit la Guerre dans la cavalerie.